Ces vignobles oubliés des restaurateurs !

L’autre dimanche, invité pour un repas de famille au bord du lac d’Annecy, je me régalais d’avance de faire découvrir à notre tablée les merveilles viticoles de ce somptueux département, jusqu’à en saliver d’impatience. Arrivé avec un peu d’avance au restaurant retenu par la puissance invitante, je me préoccupais d’entrée de réclamer au maître d’hôtel sa carte des vins, ayant dans l’idée d’offrir à notre compagnie un apéritif à base de vin pétillant local. S’agissant d’un anniversaire, le Champagne s’imposait presque, mais je m’étais fait la réflexion que l’occasion était trop bonne de faire découvrir à une assemblée toute acquise à ma cause une merveille locale : le vin pétillant d’Ayze. Une curiosité confidentielle produite sur trois communes situées à moins de quarante kilomètres de notre point de rendez-vous. Une curiosité car il est élaboré à partir d’un cépage local endémique, le gringet, et confidentielle dans la mesure où il n’en reste que vingt-deux hectares cultivés, autant dire rien ! Peu de producteurs, une surface ridicule, une méthode d’élaboration exigeant, vous imaginez que j’appelais ce nectar de mes vœux avec la dernière impatience…

Mais comment vous décrire ma déception ? À la carte de ce restaurant d’apparence pourtant traditionnelle et de bon aloi, de vin d’Ayze point ! Pas plus que de Ripaille, de Crépy, de Marin ou de Marignan ! Ces merveilles élaborées un peu plus près du lac Léman que l’Ayze, et à base de cépage chasselas, ne sont produites qu’à cent kilomètres de notre auberge. Pourquoi ne les trouve-t-on pas sur la carte ? Qui va les faire découvrir à une clientèle de passage curieuse et bien disposée si ce ne sont les restaurateurs de la région ?

Nous nous sommes rabattus sur le kir royal de consolation, et avons bu du gamay de Chignin avec notre friture. Un pis-aller : pas moyen de se faire servir un gamay de Chautagne légèrement rafraîchi, pourtant promis par une carte de vins par ailleurs bien indigente. Le repas a tout de même été un bon moment, revue de famille et remise à jour de nos fichiers sur les cousins éloignés, mais combien plus somptueux eut-il été si nous avions pu arroser nos agapes d’une jolie petite production locale, aussi inattendue que réjouissante ?

Un inconnu de l’hémisphère sud

L’ancienne et la nouvelle étiquette

Il existe pas mal de vignobles dans l’hémisphère sud, et non des moindres : l’Afrique du Sud, l’Australie, la Nouvelle Zélande et ses vignobles de Napier touchés par un spectaculaire tremblement de terre en 1931, le Chili, l’Argentine… Mais il en est un cher à mon cœur quoique méconnu dans le reste du monde pour une raison simple : il produit des vins assez quelconques qui sont très peu exportés. Il s’agit, sur l’île de Madagascar, des vins de la région de Fianarantsoa, et en particulier ceux de la société Lanza’ny Betsileo. Mais laissons parler le Ministère du Commerce Malgache :

La Région Haute-Matsiatra est réputée pour ses produits viticoles. Chaque année, les viticulteurs locaux produisent des vins rouge, blanc, gris ou rosé de qualité. Le goût des vins de cette Région se distingue des autres étant donné qu’ils ont été confectionnés avec des fruits frais et de bonne qualité.

Quand à la société Lanza’ny Betsileo, créée en 1971 et au parcours chaotique, elle exploite 300 des 800 hectares du vignobles malgache, et élabore bon an mal an quatre à cinq mille hecto de vins rouges, blancs, rosés et gris qu’elle peine à écouler dans le pays, si l’on en croit la presse malgache sur le net. Mais bon, je ne vous en parlerai pas savamment : moi, le Lanzn’i betsileo, j’en buvais il y a trente ans alors que j’étais en poste à Tana pour ma boite, et j’aime autant vous dire qu’il me régalait. Quelconque, il l’était peut-être, mais c’était tout de même un exploit de produire un vin honnête dans des conditions économico-sociales aussi désastreuses. Dans les années 80, Madagascar manquait de tout et je ne sais par quel miracle le patron de cette boîte réussissait à se procurer le peu de technologie indispensable à l’élaboration d’un vin sous les tropiques.

Quoi qu’il en soit, j’en ai bu régulièrement pendant tout mon séjour, pas loin de huit mois tout de même, du blanc et du rouge car je n’ai pas souvenir que le rosé ou le gris existaient, et j’ai à chacune de ces occasions béni l’homme courageux qui tenait cette affaire à bout de bras de me permettre d’atténuer ma nostalgie du pays natal par quelques verres de son produit salvateur.

Il m’en reste une bouteille en cave, du rouge 89, que des amis malgaches m’ont apportée lors d’une de leurs rares visites, et je ne le boirai pas. Outre qu’il doit être devenu infect après les avanies de transport que je lui ai fait subir, il me rappelle trop de bons souvenirs dans ce pays : mes premières années avec ma femme, des amis malgaches adorables, mon soulagement quand la police m’a permis de repartir après m’avoir retenu plusieurs semaines pour cause de litige avec ma boîte… C’est étonnant comme dans ma vie, peu d’événements échappent à une référence vineuse.