Un cigare sous la tonnelle

Oui, je sais, ici, c’est un blog de vin !  Alors que vient faire là-dedans un cigare, je vous le demande ? Simple : au-delà du vin, j’aime aussi d’autres boissons, dont l’armagnac et la vieille prune, et quoi de meilleur avec ce genre d’alcool qu’un petit – voire un gros – cigare ? Cet après-midi, le printemps était là et les bourgeons de ma vigne débourraient  – enfin ! Oh, il s’agit d’une vigne bien modeste, un pied de chasselas, deux de muscat de Hambourg et un de muscat de Beyrouth. Que je fais grimper sur une tonnelle depuis une vingtaine d’année, avec un succès mitigé vu la taille ridicule atteinte par les ceps, et le peu de raisin que je réussis à sauver des merles. Sans doute la tonnelle n’est pas le meilleur dispositif de plantation si l’on recherche la régularité dans la qualité, la quantité et l’organisation du travail – sous nos latitudes en tout cas, car le vignoble de Galice n’est pratiquement conduit que comme ça. Moi, j’avais une bonne raison pour utiliser une tonnelle : la vigne n’est pas assez solide pour supporter un hamac, en tout cas par avant un bon nombre d’années. En revanche, une meilleure ombre que celle du tendre vert des jeunes feuilles d’avril, ça n’existe pas ! Sauf que là, avec trois semaines de retard sur l’arrivée du printemps, pour l’ombre, je pouvais repasser…

Je fume des dominicains. C’est-à-dire des cigares en provenance de la République Dominicaine. Il y a deux sortes de raisons à cela : d’un point de vue gustatif, je les préfère aux cubains, ils sont moins forts, plus féminins, peut-être moins complexes, mais plus doux à ma muqueuse. Et puis je les ai rapportés de là-bas, alors que je ne suis jamais allé à Cuba. Je fume des Juan Clemente, Club Selection numéro 4. Un module déjà conséquent, à l’élégance assurée alliant une taille de guêpe et des jambes de star, quoique suffisamment  en chair. Pour l’accompagner, une vieille prune de Jean Gauthier, à Saint-Désirat. Tiens, encore un Jean ! Ah oui, vous le savez peut-être : Juan Clemente est un français dont le nom d’origine est Jean Clément, qui a démarré une production en République Dominicaine dans les années quatre-vingt, et dont le succès ne s’est jamais démenti depuis. Était, devrais-je dire, car ce natif de Troyes, comme moi, est décédé cela fera deux ans cet été. Prions pour que la qualité de ses cigares lui survive, car pour mon goût, je n’en connais pas de meilleurs.

Le vignoble de l’Yonne

Logo du domaine Francois Collin

Tiens, pendant que l’on est en Bourgogne, parlons du vignoble de l’Yonne. À tout seigneur, tout honneur, il est surtout célèbre pour son Chablis. Mais ce n’est pas du Chablis que je veux disserter aujourd’hui. Tout autour de cette appellation prestigieuse, se nichent des vignobles magnifiques dont on parle trop peu : Coulanges, Saint-Bris, Irancy, Chitry au sud, Tonnerre et  Epineuil au nord. Celui que je connais le mieux, c’est celui d’Epineuil. Dans les années quatre-vingt-dix, j’avais rencontré un vigneron formidable, François Collin, dont le rosé m’avait laissé une impression indélébile : un rosé de pinot dont la palette aromatique jouait beaucoup plus dans le registre des blancs que dans celui des rouges. Curieusement, alors qu’il n’entrait pas un grain de sauvignon dans son élaboration, il résonnait d’un écho troublant avec les grands blancs de la Loire pourtant éloignés d’une bonne centaine de kilomètres, et il faisait sur moi un effet de dentelles dont je peine à restituer l’étrangeté. Le domaine produisait également un blanc, plus classique, et un rouge de pinot, vermillon et délicat, à mi-chemin entre la Côte de Beaune et le Jura Suisse. Un vin envoûtant et unique qui illuminait ma cave. Et puis il est arrivé une traverse : François Collin, prenant de l’âge, souhaitait transmettre son activité, et avait trouvé un jeune repreneur pour prendre sa suite. Las : l’année suivante, un accident  – si mes souvenirs sont exacts – fauche la vie du jeune vigneron, et le domaine se retrouve orphelin. Cela se passait en 2004, me semble-t-il. Depuis, le domaine est géré par un Gaec voisin, et je n’ai plus de nouvelles. Mais en fouillant dans ma cave l’autre jour, je suis tombé sur deux bouteilles oubliées du Bourgogne Epineuil rouge du domaine, et tous les souvenirs attachés à cette rencontre sont remontés à la surface, engendrant chez moi une puissante envie d’apprendre ce qui s’est passé ces dix dernières années. Maintenant que j’ai du temps, je pense programmer une visite, et je me prends à rêver aux découvertes magnifiques qu’il reste à faire dans ce secteur. Comptez sur moi, je vous tiendrai au courant…

La Maison des Vins à Chalon sur Saône

La Bourgogne est constituée d’un vaste ensemble de régions et de terroirs dont les plus connus sont la Côte de Beaune et la Côte de Nuits. Bien. La notoriété est une belle chose, mais elle se révèle souvent réductrice, et a tendance à passer à la trappe les noms les moins connus pour peu qu’ils soient un peu excentrés : c’est le cas du vignoble de l’Yonne, incontestablement en Bourgogne malgré son éloignement de la Côte, et de la Côte Chalonnaise. Fort de ce constat, on voit à quel point cela a été une bonne idée de créer au début des années quatre-vingt, à Chalon sur Saône, tout près de centre ville, une Maison des Vins devenue le relais d’un vignoble excentré par rapport aux grands flux migratoires. Je ne vous décrirai pas son fonctionnement ni les vins que l’on peut s’y procurer, un site fort bien fait l’explicite en détail, non, moi, je veux vous parler de son restaurant. Au temps béni où mes affaires me menaient à Chalon, j’emmenais toujours un collègue particulièrement liant qui s’était fait ami avec le chef de cet établissement. Je précise que le restaurant occupe le 1° étage d’une bâtisse pleine d’originalité – un arbre en traversait la terrasse – tandis qu’au rez-de-chaussée, sont présentés les vins. Aussi, mon collègue passait-il un coup de fil la veille de notre visite, puis, pendant que je musardais entre les présentoirs et préparais mes achats, il filait à l’étage en cuisine dès notre arrivée pour négocier avec le chef le déroulement de notre repas en fonction des arrivages du jour. Autant vous le dire, je n’ai jamais été déçu. De la carte des vins au verre, il était rare que nous ne commencions pas par un Montagny 1° cru, suivi d’un verre de Rully, de Givry ou de Mercurey rouge ou blanc suivant le conseil de l’officiant. Pas plus, l’après-midi, il y avait école ! Sans compter le retour – chargés de cartons, cela va sans dire.

Il existe des initiatives de ce type dans la plupart des vignobles, mais dans le peloton de celles que j’ai visitées, c’est la Maison des Vins de Chalon sur Saône qui tient la corde…

Que sait-on des Coteaux du Lyonnais ?

Charité bien ordonnée commence par soi-même. Or les vignobles les plus proches de chez moi, ce sont les Coteaux du Lyonnais. Rien d’étonnant à cela, me direz-vous, quand on habite un arrondissement de Lyon. Il parait indiqué dans ces conditions d’en parler, mais là, en plus, comme dans toute bonne dramaturgie, il y a un élément déclencheur. Je ne sais pas vous, mais pour moi, souvent, l’élément déclencheur, c’est ma femme. Rien d’étonnant à cela non plus, me direz-vous : quand on vit depuis trente ans avec quelqu’un, que sa présence influence votre vie ne constitue plus une surprise. Un soir, elle rentre du boulot avec une bouteille. Non que ce soit un événement exceptionnel, mais il s’agissait de Coteaux du Lyonnais, cas suffisamment rare pour être remarqué. « LE BOUC ET LA TREILLE », proclamait fièrement l’étiquette plutôt plaisante, et indéniablement intrigante. On goûte, opinion favorable. Là-dessus, le week-end arrive, et dans le Monde du dimanche, qu’elle achète régulièrement, sur quoi elle tombe ? Coteaux du Lyonnais «  LE BOUC ET LA TREILLE », assorti d’un commentaire flatteur ! Il n’en fallait pas plus pour qu’on se déplace.

Je vous fais court sur le factuel bien qu’il y ait beaucoup à dire. Il s’agit d’un GAEC sis sur la commune de Poleymieux aux Monts d’Or, quelques hectares de gamay et de chardonnay sur des pentes abruptes, à la limite des zones périurbaines envahies par les citadins en mal de campagne. En agriculture biologique, désherbés à la pioche, traités au soufre et au cuivre exclusivement, pour des rendements ridicules – vingt hectos/hectare cette année avec la saison qu’on a eu. Et un cœur gros comme ça !

La différence se fait, outre sur les rendements, sur la sélection communale – une cuvée sur Poleymieux et une sur St Germain, dans les deux couleurs, et sur l’utilisation, dans ces cuvées ciblées, de levures indigènes. Mais savez-vous ce qu’on a préféré, attesté par le fait que des quelques cartons que l’on a rapportés, celui-ci est presque vide ? Le rosé ! En janvier, pourtant, en général, on n’est pas trop rosé ; eh bien là, si : on tient un rosé d’hiver ! Gras, gouteux, plein, léger en alcool et puissant en goût, juste assez vineux pour résister à un gratin de pâtes, mais pas trop pour garder le friand qui vous rince le palais.

Attention ! Suivez bien ! Les Coteaux du Lyonnais n’ont pas dit leur dernier mot !

Le Cornas d’Alain Voge

On pourrait penser que l’hiver n’est pas la meilleure période pour se rendre en Avignon. Qu’on se détrompe ! Les arbres ayant perdu leurs feuilles, le coup d’œil à partir du jardin des Doms, au-dessus du palais des papes, est grandiose. Sans compter que le mistral d’hiver a tôt fait de chasser les nuages, et que même si ça pince, un petit rayon de soleil sur notre couenne de nordiste réchauffe le moral tout autant que la physiologie. Et le Cornas, me direz-vous ? Il réchauffe aussi ! Alain Voge est maintenant un homme âgé, mais il a su transmettre les manettes de son domaine à un homme capable, et ce Cornas « Les Chailles » que j’ai eu la chance de me faire servir après cette ballade apéritive et rafraîchissante en témoigne haut et fort. C’était un 2010, un régal et une récompense. Inutile de vous en faire une description, d’autres sont là pour ça, moi, je préfère vous parler d’Alain Voge. Pas beaucoup, je ne l’ai rencontré qu’à quelques rares occasions, dans sa cave, et c’était il y a longtemps. En fait, le père d’un de mes amis se servait chez lui, et nous avait passé le tuyau. C’était dans les années quatre-vingt, au début. Alain Voge faisait du Cornas, bien sûr, mais aussi du St Peray en méthode champenoise avec ses vignes jeunes. Depuis, les vignes ont pris de l’âge et Alain aussi, mais l’effervescent existe toujours sur le domaine ! Le Cornas a la réputation d’un vin un peu austère, et il est vrai que cette caractéristique permet parfois de le distinguer de ses cousins du nord de la Côte, généralement plus expansifs. Mais ce « Les Chailles », non ! Une gourmandise, un soyeux, un équilibre…

J’ai du Cornas de Voge dans ma cave. Et du vieux, même. Pas sûr que ce soit une bonne idée, une mode récente a conduit les vignerons à produire des vins plus prêts à être bus, moins tanniques, et de moins longue garde. Eh bien on verra ! Il n’est pas rare que l’on me fasse la réflexion « Dommage, il a passé son maximum, ton vin ; tu aurais dû le servir il y a quelques années déjà ». Peut-être ; mais il ne suffit pas que le vin soit prêt, il faut que le buveur le soit aussi. Et moi, j’ai trop de respect pour cet homme, je ne me sens pas encore prêt à ouvrir ces bouteilles qu’il m’a cédées ça fait pourtant un bail.

Heureusement, dans l’intervalle, il existe des bonnes âmes pour me servir son « Les Chailles »  2010 !