Mon champagne

Comme champagne, je bois du Vauversin. Ce n’est pas ce que j’ai bu de meilleur : un jour, mon beau-frère m’a servi un flacon ventru de chez Ruinart, du Dom Ruinart. Je l’ai encore en bouche : pain blanc frais avec sa croûte, brassée de fleurs blanches aux fragrances entêtantes, bouche soyeuse et persistante, présence de la bulle et de la matière au-delà de ce qui est raisonnable, il s’agissait d’un produit d’exception. Non, François Vauversin ne joue pas dans cette cour ; il ne pratique pas non plus les tarifs de Ruinart.

En fait, comme chacun le sait, le vin est une affaire de tradition, et le Champagne encore plus. Et qu’est-ce qui véhicule la tradition ? La famille. On boit du Vauversin dans ma famille depuis avant ma naissance, je pense. Alors évidemment, il est bon. Pourquoi évidemment ? Parce que s’il ne nous avait pas plu, nous aurions changé, bien sûr. Un jour je vous raconterai comment j’ai changé d’Apremont après avoir bu le même dans ma famille pendant près d’un demi-siècle. Le fils avait repris après le père et le produit est parti à vau-l’eau. Ce n’est pas ce qui s’est passé avec François Vauversin : son garçon Bruno a repris les manettes, mais le Champagne est resté ce qu’il était : vif, fin, désaltérant à l’extrême, volant au-dessus de son chardonnay de cépage plein de la suavité de la Côte des Blancs, il est ce que l’on peut trouver de plus aboutit en Champagne de vigneron. Certes, beaucoup d’autres font aussi bien, mais pourquoi bouder mon plaisir et changer si ce Champagne me plait, me parle chaque fois que je m’adresse à lui, et m’accompagne à chaque événement heureux de ma vie ? À leur naissance, chacun de mes enfants en a eu une goutte sur la langue, et lorsque ont sonné les douze coups du dernier minuit de 2011, c’est un bouchon de Vauversin qui a sauté. Cela dit, si vous aimez le Champagne que vous avez sélectionné après des années d’errance, ne changez pas ! Il y a tant de vous dans ce choix qu’à le remettre en cause, vous devez vous préparer à vivre une déchirure…